INTERVIEW DE BABA SIMON
Par le Père Michel FARIN s.j.
TRANSCRIPTION DU TEXTE DU FILM
REALISE PAR LA TELEVISION FRANCAISE
et diffusé le 20 Octobre 1974
En script nous reproduisons les paroles de Baba Simon lui-même.
"Que le Bon Dieu donne du mil, qu'il donne surtout beaucoup de pluie... Que toutes les femmes aient des enfants. Que les enfants soient toujours en bonne santé. Que Dieu nous donne à tous le bonheur, qu'il nous donne la paix intérieure."
La prière est traduite en Zoulgo, puis :
Nous allons écouter ce que Dieu a dit. On ne voit pas Dieu, mais Dieu est intelligent comme nous, c'est lui qui a fait notre bouche et nos oreilles.
Nous demandons aussi à Dieu de nous donner des enfants qui ne soient pas malades. Qu'il nous donne la pluie. Il faut que Dieu donne pluie, c'est avec la pluie que nous avons du mil.
COMMENTAIRE
Au Nord Cameroun, près de Tokombéré, dans les montagnes... Des hommes attendent la pluie : pour semer le mil, leur seule ressource.
Et ils prient...
"Quand tu sèmes le mil il y a des grains... Quand ça va sortir ce sont des germes de mil. Dieu nous aime beaucoup comme ça, Dieu veut qu'on se multiplie comme ça. Que Dieu donne aussi cette force à ceux qui viennent nous visiter..."
Au milieu d'eux, un prêtre catholique, le père Simon Mpeke, Baba Simon. Baba Simon n'est pas d'ici, il vient du Sud, il est né au pays de la forêt, à 1000 kilomètres. Il y a quinze ans il est arrivé ici, attiré par la réputation de ces paysans fiers qu'on appelle à tort les Kirdis c'est‑à‑dire les païens, parce qu'ils ont refusé de se soumettre à l'envahisseur musulman.
Ils ont dû quitter la plaine plus riche pour se réfugier dans les montagnes et garder leur liberté en maintenant leurs traditions.
‑ Nous sommes tous sur la même piste...
Nous sommes tous sur la même piste... c'est le grand étonnement de Baba Simon. Converti au christianisme, devenu prêtre, il part loin de chez lui pour parler de Dieu à des païens Et il découvre que ces hommes connaissent la paix intérieure et savent prier.
Sur chaque montagne un grand prêtre... dans chaque village un autel sur lequel sont posées les offrandes des sacrifices à Dieu
L'essentiel des offrandes : Une goutte de sang, une libation de bière, un petit morceau de foie, un petit morceau de cœur, un petit morceau de viande coupé ici où est passé le couteau du sacrifice. Ça c'est pour Dieu. Pour Dieu on ne prend pas. Quand ils disent qu'ils veulent offrir tout le bœuf à Dieu, quand ils l'ont vraiment tué, personne n'y touche. On dépèce le bœuf, on le met sur les arbres, il passe toute la nuit. Personne ne peut manger ce bœuf-là Pendant toute une nuit, le bœuf reste à la disposition de Dieu. Alors le lendemain les enfants de Dieu se le partagent. C'est le repas. Mais quand il faut donner quelque chose à l'autel pour que Dieu ait sa part, on lui donne l'essentiel, ce qu'on appelle l'esprit du sacrifice.
‑ C'est un sacrifice désintéressé ? Ils ne demandent rien ?
‑ Ca dépend. Il y a d'abord des sacrifices obligatoires qui sont prescrits par la coutume : deux par an, aux environs de l'époque des récoltes.
‑ Deux dans 1'année . . .
‑ Deux dans l'année. Et puis il y a des sacrifices gratuits : un homme a eu des jumeaux par exemple, pour la joie... alors il fait un sacrifice. Ou alors le sacrifice pour demander quelque chose à Dieu, pour une maladie... mais généralement ils ne s'adressent pas à Dieu pour des petites maladies comme ça. Ils s'adressent aux ancêtres.
Il y a un grand prêtre pour eux tous ?
Oui, pour tous. Et les autels qui appartiennent à Dieu, c'est le grand-prêtre qui vient pour le sacrifice.
Il y a un autel par chef de famille et le grand prêtre a un autel à lui, un grand autel ?
Oui il a un autel à lui, une cathédrale pour toutes les montagnes qui sont de sa juridiction. Il a aussi un autel à lui comme chef de famille. D'ailleurs vous allez voir cet autel.
Il offre le bœuf pour tout le monde, il offre le mouton pour tout le monde, il offre la bière de mil qui a été préparée par tous. Chacun apporte une calebasse de bière : on prend de chaque calebasse et, lui, il offre ça pour tout le monde. Ou bien on apporte du mil ou de la farine de mil de tout le monde, c'est sa grande prière. Mais il a aussi une pierre a lui.
‑ Ces pierres, on peut les toucher ou ce sont des pierres sacrées ?
Je ne peux pas vous dire. Moi je suis allé une fois avec une sœur, devant 1'autel ; j'ai expliqué à la sœur ; la sœur s'est approchée ; moi j'ai touché l'autel. Le grand‑prêtre m'a dit : "Toi, tu peux rester à côté, tu peux toucher, tu es mon frère, mais la femme non. Et il était tout nu ce grand‑prêtre, c'était un vieux.
‑ Et vous, ils vous considèrent comme grand‑prêtre alors ?
‑ Oh ! Je ne sais pas comment ils me considèrent, enfin ils me considèrent comme un homme de Dieu, ils me considèrent comme un de leur corporation.
‑ Qui a les secrets ?
‑ Oui.
‑ Qui sait comment Dieu parle ?
‑ Oui, à moi ils donnent des explications. Je ne peux pas dire qu'ils me disent tout, ce ne serait pas possible, mais ce que je veux savoir, ils me le disent. Surtout, je les respecte beaucoup.
COMMENTAIRE
La grande pierre de l'autel, c'est Dieu. La petite pierre ronde posée dessus, c'est une arme contre les sorciers, placée dans la main de Dieu.
Baba Simon reprend la piste. Nous le suivons là‑haut, chez le grand‑prêtre Kata qui préside à toutes les célébrations de la tribu des Gemjek établis sur cette montagne. Semailles, moissons, constructions de cases, tout se fait selon un ordre rituel dont il est le garant. Sa case, au triple toit domine son territoire Baba Simon lui apporte de 1'eau . . .
‑ C'est de l'eau ?
Oui, je lui ai apporté de l'eau, il est content.
‑ C'est votre frère ?
Oui, c'est mon frère. Et tous sont mes frères aussi. Ils sont venus me voir, me dire bonjour. Après ça, on va s'asseoir pour causer un peu.
On recommencera à reconstruire les maisons dans un mois. Alors la semaine prochaine ou dans 15 jours, il faut offrir un sacrifice à Dieu pour que les maisons qu'on va réparer soient faites dans l'ordre. A ce moment là tout le monde va réparer ses cases et quand c'est terminé, il dit : "Maintenant nous allons préparer nos champs pour la culture du mil. Il faut faire un petit sacrifice à Dieu pour qu'il n'y ait pas d'accident." Le jour qu'il a fixé, chacun fait un petit sacrifice familial. Et le lendemain tout le monde se met aux travaux des champs.
‑ Après c'est la récolte ?
‑ Non. C'est les grands travaux des champs qui commencent ; il faut travailler vite parce que vous avez trois binages à faire : quand le mil pousse, les herbes aussi poussent,'' Tout sort en même temps. Pour préserver le mil, il faut sarcler. Alors maintenant il dit : "Ah ! Maintenant on a assez travaillé. Tout le monde se repose pendant cinq jours," C'est le repos de Dieu, pendant cinq jours, ils ne travaillent pas.
‑ Mais il ne doit pas très bien comprendre ce que vous vous faites comme grand‑prêtre, parce que, vous, vous ne dirigez par les récoltes.
Mais je ne suis pas chez moi !
‑ C'est ça qu'il comprend.
Ce qu'il comprend c'est que je ne suis pas chez moi. Cette région n'est pas ma région. Mon sacerdoce est celui de mon pays. Ce qu'il aime, lui, ce n'est pas que je me mette à l'imiter, ni à introduire ses cérémonies dans les miennes. Mais il veut que je fasse comme on fait chez moi, parce que c'est ça qui est valide. Si je prends les épines parce que j'ai vu son autel orné par les épines et que je les mets sur mon autel, alors que les épines signifient l'enfer ! …(Rires)
‑ C'est pour ça que vous disiez tout à 1' heures que vous vous sentiez étranger en arrivant ici ?
Oui, et je suis très content d'avoir senti ça. Je n'étais pas chez moi.
‑ Qu'est‑ce qui a pu décider Baba Simon à venir ici dans le Nord ?
C'est en 46 que j'ai lu un article écrit par un administrateur d'ici même dans les "Etudes Camerounaises", une revue locale. Il parlait des populations païennes du Nord, et il les présentait comme des gens très honnêtes, qui étaient prolifiques, pas riches, mais il disait quand même qu'ils étaient très courageux, travailleurs, enfin toutes les qualités que jusqu'ici les livres déniaient aux Noirs.
‑ Aux sauvages ?
Aux sauvages... Alors j'étais donc intrigué de voir ces gens‑là, et puis surtout le fait qu'ils étaient païens.
‑ Et vous êtes parti comme ça ?
Non, j'étais prêtre déjà. Depuis 47, j'étais curé à Douala. Un an plus tard, j'ai dit à mon évêque que je voulais aller un jour chez ces païens du Nord. On m'a dit qu'il y avait des païens là-bas. Alors, il m'a dit : "On va voir..."
La plus grande tentation que j'ai eue, dans le Sud, de ne pas venir ici, c'est un prêtre qui me 1'a donnée. Il m'a dit : "Pour nous autres prêtres qui sommes ici, tu es parmi les anciens, on t'écoute un peu, tu nous rends quand même service, mieux vaut rester ici, et puis préparer peut‑être une génération de jeunes prêtres qui iront dans le Nord..." Alors ça m'a tenté un peu de rester pour former les jeunes prêtres, mais je voyais que j'étais un peu jeune, d'esprit au moins…Mais je voulais faire la chose moi-même !
‑ Maintenant vous n'êtes pas tenté de rentrer ?
Je ne puis pas. Si c'est la seule tentation, j'irai au ciel ! Parce que je suis devant le fait que quitter le Nord maintenant pour aller dans le Sud, c'est aberrant quoi ! Tu as été hier là bas… Si vraiment tu veux travailler pour Dieu ou pour proclamer la Bonne Nouvelle… Vous laissez les gens de la montagne pour la proclamer à qui ? Vous les laissez… Est-ce qu'ils ne la méritent pas ? Du moment que vous y êtes, c'est impossible de se déplacer. Vous êtes dans le bain quoi ! C'est la seule tentation à laquelle je ne peux pas succomber, c'est la seule.
COMMENTAIRE
Baba Simon est reparti. Aujourd'hui, il va loin dans la montagne, chez le grand‑prêtre Massa, sur le territoire des Mada dont il a appris la langue. Il est 6 heures du matin... il fait déjà 40 degrés sur les rochers. Que pense cet homme d'une tribu lointaine venu du pays des gens de l'eau, sur le fleuve Sanaga, au milieu de la forêt du Sud ? Se souvient‑il de la première fois qu'il est monté ici ?
‑ En arrivant du Sud, la première fois, j'étais un être curieux pour eux, comme eux ils étaient curieux pour moi...
COMMENTAIRE
Là, il y a encore de la paille, l'herbe reste jusqu'en Novembre. Alors on la garde jusqu'à cette époque où on reconstruit les cases.
Ils descendent de la paille pour reconstruire les cases.
Ils sont surpris de nous voir ici ! Oussé, Oussé…
Tout le long de la montée qui va durer trois heures, Baba Simon est salué par tous... Oussé : bonjour. Oussé, Oussé Baba…
Le travail qu'on voit c'est qu'ils préparent la terre. La terre c'est sec… Alors ce sont des mottes de terre qu'on prend. Il faut la battre et en faire du mortier, de la boue. Et avec cette terre là on fait des poteries très différentes.
C'est habité partout ?
Ah oui ! Mais ce l'était plus avant ! Parce que maintenant ils sont descendus beaucoup à la plaine. Pas seulement ici, mais partout.
COMMENTAIRE
Dans ce village, une vieille amie, une vieille femme avec qui il a bu la bière de mil pour la première fois. Autour de son cou, un collier de fourrure blanche, signe qu'elle a offert une chèvre en sacrifice.
Offrir un sacrifice à Dieu, pour que Dieu donne des enfants à ma belle‑fille ; comme moi je ne puis plus faire des enfants, je suis vieille, je voudrais continuer à faire des enfants par elle. Et c'est pourquoi nous avons offert un sacrifice à Dieu, et je porte ce collier qui est une lanière de la peau de la chèvre qu'on a tuée pour Dieu, comme ça, ça me donne le souvenir du sacrifice qu'on a fait et ça me rappelle toujours la prière qu'on a faite à Dieu de donner des enfants à ma belle‑fille.
C'est donc avec elle que j'ai bu la bière pour la première fois. Elle était assise toute seule, là‑bas... Alors je 1'ai appelée et puis voilà : "Tu vas boire la bière avec moi." Et depuis ce temps‑là, Baba Simon c'est son ami.
COMMENTAIRE
Partout dans la montagne, les signes d'une tradition...
Voyez là, plusieurs tombes... ceux qui meurent dans la plaine, qui sont de ces montagnes, on va les enterrer là‑haut... Il y a un grand cimetière là-haut...
‑ Le cimetière est sur la crête...
Oui...
COMMENTAIRE
Partout les signes d'un vieux testament, transmis par les ancêtres enterrés sur les sommets... D'où vient ce testament ? Baba Simon avait posé cette question a un grand‑prêtre qui lui aussi est maintenant enseveli là‑haut sur la crête.
Maintenant il est mort, il est remplacé par un autre. Il était sorti de sa case, tout nu et puis il était assis là et je lui avais dit : "Moi aussi je suis un homme qui fait le sacrifice, mais je fais le sacrifice chez moi, ce n'est pas comme chez vous". Mais vous aussi vous offrez le sacrifice à qui ?
Il m'a dit : "A Dieu !"
Mais pour toi, Dieu c'est qui ?
Il m'a dit : "Dieu c'est Dieu." Je dis : "Mais est‑ce que tu crois que c'est Dieu qui nous a faits, qui a fait tous les hommes ? Toi, et moi et tous les hommes ?" Il m'a dit : "Mais si ce n'était pas Dieu qui nous a faits tous, d'où serions‑nous sortis ? On ne peut pas être semblables comme ça sans qu'il y ait une origine commune. " (rires)
‑ Qui nous a engendrés !
Qui nous a engendrés... le mot qu'il a employé c'est le mot "engendré" Qui nous aura engendré ?
Puisque si nous nous ressemblons tous, il faut donc qu'il y ait, à l'origine, un ancêtre commun, d'où nous tirons notre image, notre ressemblance.
COMMENTAIRE
Chaque jour, ces jeunes filles marchent plusieurs heures dans la montagne pour rapporter de 1'eau dans leur village.
Nous sommes arrivés dans le village du grand‑prêtre Massa...
Ici, Baba Simon a participé au grand sacrifice du bœuf... le rite central du culte dans la montagne...
Dès qu'il arrive, les gens se rassemblent autour de lui. Il leur parlera de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Un vieillard s'approche... C'est le grand prêtre qui vient saluer son frère, Baba Simon.
Il a offert un sacrifice pour sa guérison... parce qu'il tousse beaucoup, que ses pieds ne le soutiennent plus. Heureusement qu'il a encore son fils, ses enfants.. .
‑ Il veut que ses enfants soient chrétiens et pas lui ?
Lui, si on lui dit : "On te baptise pour aller au ciel", il accepte. Mais si on lui dit : "On te baptise pour que tu ne pratiques plus le sacrifice" Il n'accepterait pas parce que pour lui, vous ne lui donnerez pas un moyen de contact avec Dieu, en dehors de son sacrifice. Et de ce fait il ne comprendra pas la messe.
‑ Il comprend que son fils fasse cela ?
Ah ! Oui... Son fils peut assimiler ce que je dis.
Pour lui, la religion c'est quelque chose de sérieux. Il ne trouve pas de se faire chrétien superficiellement. Par exemple s'il est malade, si on lui demande : "On veut te baptiser pour aller au ciel". Il dit : "Oui, je veux aller au ciel". Mais il n'acceptera pas d'être chrétien pratiquant, parce qu'il ne peut pas.
Pour moi, leur apprendre l'hygiène, leur apprendre tout, leur dire l'amitié que je leur porte, leur montrer que n'importe qui peut être ami avec n'importe qui, tout ça pour moi c'est le christianisme. Je leur apporte ce qu'ils connaissent déjà, mais un peu plus, à un degré un peu plus élevé.
Pour moi, Jésus Christ c'est tout, c'est l'ensemble. Jésus Christ c'est la vie. Jésus Christ pour moi ce n'est pas l'incarnation d'un Juif pour moi c'est l'incarnation de l'humanité... Je voudrais que tous soient comme Jésus-Christ, que tous voient Dieu comme Jésus le voyait. Et que tous voient tous les hommes comme Jésus les voyait. Pour moi, l'incarnation, ce n'est pas Dieu qui s'est incarné dans un juif, pour moi c'est Dieu qui s'est incarné dans la nature humaine en prenant un homme qui était dans cette famille là...
Je vois que Dieu s'est incarné en lui et qu'il est bon qu'il sache Dieu comme Jésus le connaissait, qu'il aime Dieu comme son Père comme Jésus l'aimait.
Pour moi, Jésus‑Christ c'est un Kirdi mais qui n'a pas assez conscience de son état et je le révèle à lui-même. C'est çà Jésus-Christ.
Qu'ils boivent de l'eau sale, ce n'est pas Jésus-Christ çà ! Parce que quand Dieu a créé, l'eau était propre. Si nous buvons de l'eau sale, çà vient en ce temps là très mal ! Or nous avons l'intelligence pour que nous puissions purifier notre eau…
Pour moi, Jésus-Christ ce n'est pas un Juif, pour moi Jésus‑Christ c'est l'homme.
COMMENTAIRE
Jésus Christ c'est l'homme, mais c'est l'homme qui passe d'une ancienne tradition à une nouvelle, d'un ancien à un nouveau Testament.
Quelle aventure... quelle cassure représente ce passage pour chacun de ces hommes ! C'est samedi, à Tokombéré, au pied des montagnes... Baba Simon, chez lui, prépare la messe du dimanche avec des catéchistes qu'il a formés dans chaque montagne...
(ambiance)
Mada, Mouyang, Moloko, Zoulgo, Gemjek, Mboko, chaque tribu a sa langue, et aucune ne connaît ni 1'écriture ni le livre.
(Un catéchiste lit l'Evangile en français) :
‑ "Jésus apparaît aux disciples. Le soir même, le premier jour de la semaine, les portes de la pièce où se trouvaient les disciples sont fermées, par peur des juifs. Jésus vient et il est là, debout, au milieu d'eux, et il leur dit : "Que la paix soit avec vous". Les disciples sont dans la joie de voir le Seigneur... et il dit de nouveau : Que la paix soit avec vous''.
‑ Moi, il y a une chose que vous avez dite que je voudrais reprendre, là, vous avez dit : "Après six mois que je suis arrivé ici, j'ai eu envie de partir... Si ça n'avait pas été le fait de Jésus‑Christ, je serais reparti." Pourquoi avez‑vous eu envie de partir après six mois ?
C'est‑à‑dire que j'ai trouvé ces gens menant une vie qui était de nature à les unir à Dieu et que peut‑être en apportant d'autres idéologies ; on allait perturber leur système habituel d'union à Dieu.
‑ Vous aviez peur de les casser, quoi...
De les casser, oui... et qu'en les cassant dans leur vie habituelle ça risque d'apporter un changement aussi dans leur relation avec Dieu.
‑ Vous avez découvert qu'ils n'avaient pas besoin de vous, au fond ?
J'avais vu qu'ils n'avaient pas besoin de moi. Que j'avais besoin d'être chrétien, moi, pour trouver la route qui va à Dieu, mais eux ils 1'avaient trouvée. Ils l'avaient trouvée dans leur système.
Vous allez à la montagne, ils ne vous disent pas : "On nous a dit comme çà." Ils vous disent : "C'est Dieu qui nous a dit de faire le sacrifice, c'est Dieu qui nous a dit de faire ça", c'est pourquoi ils n'admettaient pas que dans la montagne quelqu'un reste sans offrir un sacrifice à Dieu... ou bien quand on fait le sacrifice à Dieu que personne ne vienne au sacrifice. Alors ils l'exilent, ils ne le tuent pas, mais ils le vendent aux musulmans.
‑ Et alors le fait de Jésus-Christ... ?
Le fait de Jésus‑Christ, pour moi, c'est que Dieu est notre père, que Jésus se présente comme fils de Dieu, donc c'est notre frère. Dieu nous a révélé que cette paternité divine a déjà existé avant nous, que Dieu devient père. Ce n'est qu'en leur parlant de Jésus-Christ qu'ils comprendront davantage leur relation à Dieu comme père, et que Jésus-Christ explique davantage notre union avec le Bon Dieu... quand Jésus‑Christ dit : "Dieu est en moi, moi je suis dans mon père, mon père est en moi"... Eux ils croient ça aussi : que Dieu agit en nous, que nous marchions avec Dieu, mais c'est pour leur montrer que ceci s'est réalisé mieux chez un être, chez un homme comme nous. Pour moi, je ne vois aucune différence si Jésus était incarné dans un Mouyang ou un Mada ou un Bakoko ou n'importe quel homme ici.
Pour moi c'est l'incarnation du Dieu dans un homme, comme je disais : "je suis le fils de l'homme". Pour moi c'est l'humanité qui a été incarnée, et cette notion devrait être aussi connue.
‑ C'est ça qui vous donne la force d'aller marcher dans la montagne ?
Oui il faut leur montrer ça, et leur montrer notre union à Dieu plus parfaite par un homme comme nous, quoi !
‑ Pour vous personnellement, vous nous avez dit : "Si je suis venu ici c'est pour me venger de mes parents païens". Vous avez eu une expérience d'une cassure avec votre tradition ?
…Non ! D'une cassure heureuse, quoi ! Comme quelqu'un qui passe de l'ignorance à la connaissance.
‑ Avec vos parents, ça n'a pas été difficile ?
Non, non, non... parce que les pères sont venus chez moi, chez mon père... alors mon père a trouvé qu'ils étaient bons, qu'ils aimaient les enfants. Mon père est allé les voir, ils l'ont bien reçu, puis il nous a laissé faire. Le père, lui a demandé un jour : "Pourquoi toi tu ne viens pas... pourquoi toi tu ne te fais pas chrétien ?" _ "Oh ! Il dit : "Je ne me fais pas chrétien, mais mon fils est là. J'aime ce que tu fais, autrement je ne laisserai pas aller mon fils. Pour mon père, il se faisait chrétien par moi, en me faisant chrétien, il était chrétien lui aussi.
‑ Il vous a revu quand vous avez été prêtre ?
Non, malheureusement. Avant que j'aille au séminaire, j'ai demandé à mon père si je pouvais aller au séminaire. Il a dit "oui", puis il a dit "non", puis finalement il a dit "oui". On tâchait de lui expliquer le moins possible les exigences !
COMMENTAIRE
Pendant que nous parlions avec Baba Simon, les catéchistes se sont séparés en petits groupes selon les différentes langues...
Ils parlent sur l'évangile qui vient d'être lu. L'un d'eux prend des notes. Demain, à la messe, il fera le commentaire du texte pour tous ceux de sa langue.
Dans l'un de ces groupes, assis par terre, un homme écoute en silence. C'est un Mada, il s'appelle Makcheme. A côté de lui, un instrument de musique... une petite harpe à cinq cordes. Il est arrivé comme cela, un jour... nous dit Baba Simon. Il est venu écouter.
Il s'est révélé très intelligent, très ouvert. Nous l'employons pour qu'il nous donne des explications de la montagne en tenant compte de ce qu'il entend. En peu de temps, il a bien assimilé notre catéchèse. Il est venu 1'écouter, puis il a commencé à nous donner des explications. Il reste ici avec nous, il vient, quand nous parlons il nous explique. Il dit : "Çà c'est pas bien, c'est pas comme çà à la montagne, à la montagne on faisait comme cela." Il se sert de nous pour entrer dans notre nouveauté, et nous nous servons de lui pour pénétrer la montagne. Il amène ses instruments de musique pour voir ce qu'on peut faire I1 est notre catéchiste, et nous sommes son catéchiste.
‑ C'est la même chose pour la musique ?
Pour tout !
On s'instruit. C'est la montagne qui a un contact très sympathique avec l'Evangile.
COMMENTAIRE
La montagne, c'est aussi cette musique qui accompagne les semailles et la moisson, 1'offrande de la boule de mil et le sacrifice du bœuf. (musique)
- C'est l'année où on va sacrifier le bœuf, alors on chante cette musique. C'est la saison du sacrifice du bœuf.
- Quand on a fini le champ, tout le monde se repose à la maison. On a déjà sarclé, on a enlevé tout, le mil commence déjà à former des épis ; maintenant c'est la musique où on chante dans les flûtes, c'est le chant du repos.
COMMENTAIRE
Mais il arrive que la montagne se mette en colère. A Tokombéré, une lance est plantée dans l'entrée de l'église.
La lance c'est un enfant qui était venu ici à l'école, et comme cette montagne est une des montagnes un peu difficiles. Sa mère ayant quitté son mari restait à Tokombéré. Il est donc venu à l'école et je l'ai pris comme interne. Je l'ai pris en charge pour la nourriture pour l'habillement, pour tout... Et il est resté chez moi huit ans, et sa mère l'a rejoint. Sa mère a obligé son mari à venir ici, à cause de son fils. Alors il est resté avec nous, il a passé son certificat de fin d'études, le premier de la montagne à avoir ce diplôme là. Et comme il était jeune j'ai demandé à son père si on pouvait l'envoyer au collège, l'envoyer plus loin. Son père a dit : "oui", sa mère aussi a dit : "oui". Et on a fait un concours d'admission au collège de Mazenod. Il est parti au collège.
Alors cet enfant a fait ses études là-bas. Et puis il y a trois... il y a deux mois, il vient chez lui pour les vacances avec trois autres enfants : Deux Mada, un Zoulgo Le car va contre un arbre et il prend feu. Et lui se trouve parmi ceux qui sont calcinés.
J'annonce çà aux parents, que votre fils est mort. On n'a même pas retrouvé les os, ni rien du tout. Alors c'était la catastrophe. J'annonce ça ici à la mère. La mère se met à pleurer, elle vient chez moi... comme ici, là, toutes ces cases-là appartiennent à des gens tout à fait d'ethnies différentes, elle ne peut pas aller pleurer ici : ce sont des Mada et lui était Mouyang. Elle ne peut pas pleurer non plus chez son mari qui n'était pas de la même tribu que son fils. Le père de l'enfant dans cette plaine, n'était que moi ! La mère vient donc chez moi et se met à pleurer, à rouler par terre. Je la garde… Puis finalement on va aussi avertir à ses frères de la montagne que l'enfant est mort. Alors ces gens de la montagne se fâchent contre moi et contre la maman. Ils viennent pleurer. Mais il y a deux jeunes gens qui disent : "Nous autres, nous en voulons aux deux : si nous le pouvons, nous tuerons un des deux : ou la maman ou Baba Simon." Et les vieux veulent les retenir, ils échappent…
Ils arrivent ici le soir avec boucliers, lances et ils font un simulacre d'attaque comme ils le font pour tous les morts. Alors nous prenons cela comme des gens qui viennent pleurer leur enfant, leur frère. Mais après cela, ça tourne un peu au tragique : ils commencent à poursuivre les gens, les enfants… D'abord, ils ne sont pas venus chez moi parce que moi j'étais là en train de garder la maman qui pleurait. Ils viennent chez moi, ils regardent un peu, Ils vont là bas, on dit : "Mais qu'est-ce qui se passe ?" Ils tombent par terre et ils miment... non pour mimer dans le vide comme ça, comme on fait d'habitude, mais il fait des gestes de menaces contre les gens, avec sa lance et son bouclier. Et puis finalement à un moment donné, il disparaît. C'est à ce moment là qu'il va à l'église, et devant l'église il envoie sa lance dans le ciel, dans le plafond de l'église, et il perce le plafond. La lance y reste comme vous l'avez vue là.
Le lendemain, les hommes de la montagne ont entendu cela. Le chef qui est là... vous voyez sa case là... le chef qui est descendu, qui habite là, au pied de la montagne, le chef a entendu cela. Il est allé appeler les gens de la montagne, les notables pour leur dire qu'ils ont très mal fait : "Un enfant meurt dans un accident de car et ils étaient onze collégiens à périr dans cet accident, et vous en voulez à Baba Simon ! Mais qu'est ce qu'il a fait ? L'enfant est allé faire l'école chez lui pendant huit ans. Personne n'est allé l'enlever. Il envoie l'enfant pour faire une grande école, mais il voulait nous faire du bien. Allons, allons demander pardon."
Ils viennent donc chez moi, le chef avec les notables. Ils me disent : "Ce que les enfants ont fait hier, d'abord c'était un jour de bière." C'était vrai, c'était un mardi, jour de marché, ils avaient bu. Ils m'ont dit : "Les enfants ont bu beaucoup, ils ne le savaient pas ; ce sont des jeunes gens... et puis ce qu'ils ont fait ce n'est pas bien, nous voulons te demander pardon..." Je leur ai dit : Moi… Ils ont cassé deux vitres, et puis ils ont enfoncé la porte de la cuisine, l'ont arrachée". Ils font ça dans la montagne, ils brûlent le mil quand quelqu'un est mort... Alors ça ce sont des gestes qu'on fait partout. Je leur ai dit : "Tout ce qu'ils ont fait, je ne demande aucune réparation. Je leur pardonne. Mais la lance qu'ils sont allés planter dans le plafond de Dieu, ça moi... Ca ne me regarde pas, je ne suis pas le Bon Dieu ! Parce que moi je pardonne ce qui me regarde mais, la lance pour Dieu, qu'est‑ce que ça représente ? Dieu, lui, voit ce qu'ils avaient dans leurs cœurs ? Il n'y a que lui qui peut leur pardonner. Alors vous devez vous arranger et demander pardon à Dieu, si Dieu vous pardonne c'est bien, je suis d'accord. Mais moi, vous dire que je vous pardonne au nom de Dieu ? Non, non, vous n'êtes pas chrétiens ! Si vous étiez chrétiens, je vous dirais ce qu'il faut faire pour que Dieu vous pardonne, mais vous n'êtes pas chrétiens... Si je vous dis vous n'allez pas appliquer parce que vous ne comprendriez pas. Mieux vaut vous arranger entre vous et demander pardon à Dieu à votre façon". Alors ils m'ont dit : "Nous allons appeler notre grand‑prêtre qui est là‑bas." : Nglissa.
Alors ils sont allés chercher le grand‑prêtre qui est venu le lendemain. Il m'a dit : "J'ai compris ce qu'on m'a dit, mais je vois que cette faute est assez grave, il faut la réparer avec un mouton pur. Quelque chose d'absolument digne de Dieu, parce que c'est contre Dieu qu'ils ont fait ça..."
‑ Et ils ont fait un sacrifice.
Ils ont fait un sacrifice.
‑ A côté de 1'église ?
A côté de 1'église, tout près de 1'église. Ils sont même allés mettre du sang sur les pierres du mur de 1'église.
‑ Vous avez participé à ce sacrifice ?
Oui, j'étais présent, j'étais présent. Ils m'ont fait manger des morceaux de viande du sacrifice ; un morceau de 1'estomac cru sans être lavé évidemment !
‑ Cela a marqué la ville qu'il y ait un sacrifice en plein milieu du village ?
Je ne peux pas vous dire... Ca a marqué, mais comment ? … C'est un peu difficile. Ce que je sais c'est que le clan, la famille qui a perdu cet enfant, dont les deux frères sont venus, dont un a envoyé la lance, maintenant ils viennent à la mission beaucoup plus qu'auparavant.
COMMENTAIRE
C'est le premier dimanche après Pâques...
Le jour de sa naissance il ne pouvait pas parler lui-même. Il nous a fait comprendre le mot de paix par la bouche des anges. Et aujourd'hui, lui‑même après sa résurrection, quand il a parlé à ses disciples la première fois, il leur dit : "Paix à vous. Paix soit avec vous. C'est cette paix de Jésus que, nous aussi, nous allons nous donner les uns aux autres. Après la messe nous allons nous donner cette paix en faisant un signe avec de l'eau bénite.
Mais cette paix, ce n'est pas seulement le signe de la Croix. Cette paix c'est surtout quelque chose qui est dans notre cœur, que Dieu donne. Nous prions donc aujourd'hui beaucoup pour que Dieu donne cette paix à nous qui sommes ici présents et à nos frères qui sont dans le monde entier.
Dieu tout‑puissant et éternel, accorde‑nous comme fruit des fêtes pascales que nous célébrons, cette paix que Jésus nous a apportée, lui qui règne avec le Père et le Saint-Esprit maintenant et pour les siècles des siècles.
Maintenant nous allons écouter la parole de Dieu.
Les Mada vont aller là‑bas avec Claude.
Les Mouyang avec Dadok.
Tous ceux qui ne comprennent ni le Mouyang ni le Mada, ni autre chose et qui comprennent le français vont aller avec le père que vous voyer là, il va leur parler en français.
Les Zoulgo et Gemjek iront avec Derkidar.
(chant...)