Lettre pour le diaire de l’Union
27 Mars 1959
Extraits issus du diaire de l’Union des Frères de Jésus
Je vis enfin au milieu des Kirdis depuis le 6 février. J’espère que le Bon Dieu saura s’arranger pour te permettre de venir un jour chez nous. Tu verras nos chers frères dans leur simplicité à tous les points de vue. Ils sont tout nus, il est vrai, mais très sympathiques et, bien que païens, leurs mœurs pures feraient honte à nos multitudes baptisées du Sud. Ce qui est navrant ici, c’est la mortalité infantile, à cause de leur manque de moyens de protection. Ensuite, quand ils sont malades, ils sont vraiment malheureux. Il en arrive à la Fraternité. Le patient est déposé dans la cour. Après la visite médicale, on « l’hospitalise », tout est relatif, dans une case entièrement nue. Il se tord, il roule dans la poussière. Le jour, les malades sortent de leurs cases d’hospitalisation et restent dehors à même la terre. Ils se couchent par terre, tout nus. J’ai vu, le lendemain de mon arrivée, un malheureux mourir dans cet état de nudité absolue. Il avait le tétanos. C’était le Christ souffrant, le Christ « ver de terre ».
J’ai commencé, comme tout missionnaire, par l’école. J’ai déjà une quarantaine d’élèves : 18 enfants de 8 à 15 ans, 16 garçons de 17 à 23 ans et trois filles, dont deux de plus de 14 ans. Évidemment, tout le monde est entièrement nu, sauf un garçon qui a une culotte déchirée. Je fais la classe sous un arbre, nous nous asseyons tous par terre et changeons au moins deux fois par jour de place, au gré de l’ombre. Monseigneur m’a promis un aide pour construire au moins une petite case école. Le jour où j’avais commencé mon école, je n’avais même pas de craie et jusqu’ici c’est une ardoise fixée à l’arbre qui me sert de tableau noir. Malgré tout cela, nous sommes contents et je fais ce que je peux. Mes élèves ne s’aperçoivent même pas de ce qui nous manque. On lit dans le même syllabaire. Comme je n’ai que huit ardoises, on se les passe à tour de rôle pour les exercices d’écriture...