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Extrait de l'interview télévisé effectué par M. Farin, s.j.

L'AFFAIRE DE LA LANCE

Il arrive que la montagne se mette en colère. A Tokombéré, une lance est plantée dans l'entrée de l'église.

La lance c’est un enfant qui était venu ici à l’école, et comme cette montagne est une des montagnes un peu difficiles. Sa mère ayant quitté son mari restait à Tokombéré. Il est donc venu à l’école et je l'ai pris comme interne. Je l’ai pris en charge pour la nourriture pour l’habillement, pour tout... Et il est resté chez moi huit ans, et sa mère l’a rejoint. Sa mère a obligé son mari à venir ici, à cause de son fils. Alors il est resté avec nous, il a passé son certificat de fin d’études, le premier de la montagne à avoir ce diplôme là. Et comme il était jeune j’ai demandé à son père si on pouvait l’envoyer au collège, l’envoyer plus loin. Son père a dit : "oui", sa mère aussi a dit : "oui". Et on a fait un concours d’admission au collège de Mazenod. Il est parti au collège.

Alors cet enfant a fait ses études là-bas. Et puis il y a trois... il y a deux mois, il vient chez lui pour les vacances avec trois autres enfants : Deux Mada, un Zoulgo Le car va contre un arbre et il prend feu. Et lui se trouve parmi ceux qui sont calcinés.

J'annonce çà aux parents, que votre fils est mort. On n’a même pas retrouvé les os, ni rien du tout. Alors c’était la catastrophe. J'annonce ça ici à la mère. La mère se met à pleurer, elle vient chez moi... comme ici, là,  toutes ces cases-là appartiennent à des gens tout à fait d’ethnies différentes, elle ne peut pas aller pleurer ici : ce sont des Mada et lui était Mouyang. Elle ne peut pas pleurer non plus chez son mari qui n’était pas de la même tribu que son fils. Le père de l'enfant dans cette plaine, n'était que moi ! La mère vient donc chez moi et se met à pleurer, à rouler par terre. Je la garde… Puis finalement on va aussi avertir à ses frères de la montagne que l'enfant est mort. Alors ces gens de la montagne se fâchent contre moi et contre la maman. Ils viennent pleurer. Mais il y a deux jeunes gens qui disent : "Nous autres, nous en voulons aux deux : si nous le pouvons, nous tuerons un des deux : ou la maman ou Baba Simon." Et les vieux veulent les retenir, ils échappent…

Ils arrivent ici le soir avec boucliers, lances et ils font un simulacre d’attaque comme ils le font pour tous les morts. Alors nous prenons cela comme des gens qui viennent pleurer leur enfant, leur frère. Mais après cela, ça tourne un peu au tragique : ils commencent à poursuivre les gens, les enfants… D'abord, ils ne sont pas venus chez moi parce que moi j’étais là en train de garder la maman qui pleurait. Ils viennent chez moi, ils regardent un peu, Ils vont là bas, on dit : "Mais qu’est-ce qui se passe ?" Ils tombent par terre et ils miment... non pour mimer dans le vide comme ça, comme on fait d’habitude, mais il fait des gestes de menaces contre les gens, avec sa lance et son bouclier. Et puis finalement à un moment donné, il disparaît. C’est à ce moment là qu’il va à l’église, et devant l’église il envoie sa lance dans le ciel, dans le plafond de l’église, et il perce le plafond. La lance y reste comme vous l’avez vue là.

Le lendemain, les hommes de la montagne ont entendu cela. Le chef qui est là... vous voyez  sa case là... le chef qui est descendu, qui habite là, au pied de la montagne, le chef a entendu cela. Il est allé appeler les gens de la montagne, les notables pour  leur dire qu’ils ont très mal fait : "Un enfant meurt dans un accident de car et ils étaient onze collégiens à périr dans cet accident, et vous en voulez à Baba Simon ! Mais qu’est ce qu’il a fait ? L’enfant est allé faire l’école chez lui pendant huit ans. Personne n’est allé l’enlever. Il envoie l’enfant pour faire une grande école, mais il voulait nous faire du bien. Allons, allons demander pardon." 

Ils viennent donc chez moi, le chef avec les notables. Ils me disent : "Ce que les enfants ont fait hier, d'abord c'était un jour de bière." C'était vrai, c'était un mardi, jour de marché, ils avaient bu. Ils m'ont dit : "Les enfants ont bu beaucoup, ils ne le savaient pas ; ce sont des jeunes gens... et puis ce qu’ils ont fait ce n’est pas bien, nous voulons te demander pardon..." Je leur ai dit : Moi… Ils ont cassé deux vitres, et puis ils ont enfoncé la porte de la cuisine, l'ont arrachée". Ils font ça dans la montagne, ils brûlent le mil quand quelqu'un est mort... Alors ça ce sont des gestes qu'on fait partout. Je leur ai dit : "Tout ce qu'ils ont fait, je ne demande aucune réparation. Je leur pardonne. Mais la lance qu'ils sont allés planter dans le plafond de Dieu, ça moi... Ca ne me regarde pas, je ne suis pas le Bon Dieu ! Parce que moi je pardonne ce qui me regarde mais, la lance pour Dieu, qu'est‑ce que ça représente ? Dieu, lui, voit ce qu'ils avaient dans leurs cœurs ? Il n'y a que lui qui peut leur pardonner. Alors vous devez vous arranger et demander pardon à Dieu, si Dieu vous pardonne c'est bien, je suis d'accord. Mais moi, vous dire que je vous pardonne au nom de Dieu ? Non, non, vous n'êtes pas chrétiens ! Si vous étiez chrétiens, je vous dirais ce qu'il faut faire pour que Dieu vous pardonne, mais vous n'êtes pas chrétiens... Si je vous dis vous n'allez pas appliquer parce que vous ne comprendriez pas. Mieux vaut vous arranger entre vous et demander pardon à Dieu à votre façon". Alors ils m'ont dit : "Nous allons appeler notre grand‑prêtre qui est là‑bas." : Nglissa. Alors ils sont allés chercher le grand‑prêtre qui est venu le lendemain. Il m'a dit : "J'ai compris ce qu'on m'a dit, mais je vois que cette faute est assez grave, il faut la réparer avec un mouton pur. Quelque chose d'absolument digne de Dieu, parce que c'est contre Dieu qu'ils ont fait ça..."

‑ Et ils ont fait un sacrifice.

Ils ont fait un sacrifice.

‑ A côté de l'église ?

A côté de 1'église, tout près de 1'église. Ils sont même allés mettre du sang sur les pierres du mur de 1'église.

‑ Vous avez participé à ce sacrifice ?

Oui, j'étais présent, j'étais présent. Ils m'ont fait manger des morceaux de viande du sacrifice ; un morceau de 1'estomac cru sans être lavé évidemment !

‑ Cela a marqué la ville qu'il y ait un sacrifice en plein milieu du village ? 

Je ne peux pas vous dire... Ca a marqué, mais comment ? … C’est un peu difficile. Ce que je sais c’est que le clan, la famille qui a perdu cet enfant, dont les deux frères sont venus, dont un a envoyé la lance, maintenant ils viennent à la mission beaucoup plus qu'auparavant.

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