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Bibliographie de Baba Simon

Pierre Gallay évoque son séjour à Tokombéré et Baba Simon marchant infatigablement dans les montagnes à la rencontre de tous ses amis. Il relate les souvenirs d'enfance qu'il recueillis et les débuts de Simon dans le ministère et au Nord-Cameroun, ainsi que le rôle qu'il se reconnaît de "passeur" d'une ancienne tradition à une nouvelle, et de pionnier de la promotion humaine.

Oussé Baba Simon, reportage de Pierre Gallay, in la Croix, Février 1968.

OUSSE BABA SIMON

Article de Pierre Gallay

Dans le Journal "La Croix" du  ? ?  Février 1968

“ Oussé Baba Simon. Bonjour Père Simon.” Ce cri je l'ai entendu des centaines de fois dans la bouche des Kirdis qui habitent les montagnes lunaires du Nord-Cameroun.

C'était tout aussi bien un cri de joie, d'amitié, de reconnaissance qu'une invitation à entrer dans l'enceinte du saré familial où se blottissent, dans un labyrinthe de ruelles, greniers à mil en forme d'obus et rondes huttes de terre ou de pierre aux toits de chaume.

Une invitation à entrer pour partager la boule de mil ou pour sourire au dernier-né, ou pour prendre des nouvelles du vieil homme en train de mourir, ou encore du lépreux vivant à l'écart des bien-portants.

L'ami de 40.000 Kirdis

Et Baba Simon d'aller d'un saré à l'autre, car il est l'ami de toutes les familles, des 40.000 Kirdis des tribus Mada,  Zoulko,  Mbokou, Mouyangue qui vivent sur le territoire de “ sa mission ”.   Mais dans tout les monts Mandara; Où se terrent encore, depuis les invasions musulmanes des cavaliers Foulbé (ou Peulhs) qui ont conquis la plaine aux siècles passés, quelque  300.000  animistes, on connaît sa silhouette, sa tête chauve, sa barbe grisonnante, sa soutane kaki et ses pieds nus.

“ Baba Simon, vous êtes un saint. ” Vous pouvez le lui dire, cela le fait rire de toutes ses dents blanches. Il n'en a cure. Et pourtant, vous ne pouvez vous empêcher de penser qu'il a la tête d'un P. de Foucauld et la douceur d'un François de Sales.

On ne se lasse pas de marcher à sa suite pendant des heures à travers les blocs de granit aux formes étranges ; à travers les cultures, en terrasse où chaque poignée de terre porte sa pauvre tige de mil où sa touffe d'arachides. On va d'une montagne abrupte à une autre montagne abrupte, et d'une montagne à l'autre le dialecte change. Mais les gens sont aussi démunis et aussi nus qu’au premier chapitre de la Genèse. Seuls les hommes qui vont au marché ou les femmes qui descendent chercher l'eau à, trois ou quatre kilomètres de là dans la plaine où il faut encore creuser le sable des Mayo, à sec en cette saison,  pour  en  trouver,  se ceignent les reins d'un bout de pagne  pour  échapper  aux amendes de l'Administration qui a interdit officiellement la nudité complète.

Mais dans leurs montagnes, les Kirdis, c'est-à-dire les montagnards, les sauvages, les parias ainsi que les ont surnommés les Foulbé, sont chez eux, et personne ne vient les voir, sinon Baba Simon, les missionnaires, les religieuses... Une peur ancestrale les fait encore fuir devant ceux qu'ils ne connaissent pas ou qui ne les aiment pas. Ils vivent là comme à l'aube de la création, couchant dans leur hutte sur une ou deux planches surélevées sous lesquelles ils entretiennent pendant la nuit un feu de braise.

Depuis 1959, Baba 8imon s'est mis a leur service et la mission de Tokombéré qu'il dirige aux pieds des montagnes, est d’abord un centre de soins gratuits grâce à un hôpital fondé par le docteur Maggi et actuellement tenu par trois religieuses de Chevreul parmi lesquelles la doctoresse Perrin-Valentin, de Grenoble, un centre d'éducation primaire pour 250 garçons et filles répartis en trois écoles, et un lieu de culte pour les premiers chrétiens Kirdis de l'endroit, 80 baptisés et 300 catéchumènes.

Il existe certes plusieurs autres missions tenues par les Oblats de Marie et les Petits Frères de l'Evangile dans ces montagnes, à Sir, Mokolo, Djinglia, Douvangar, Mayo-Ouldémé, mais la mission de Tokombéré a cette particularité d'être la mission d'un prêtre noir. Car Baba Simon est un prêtre africain, un authentique Camerounais du Sud.

Fils d'un chef coutumier

Son père était chef coutumier à Edéa, là où a été construit le grand complexe industriel Alucam, de Pechiney-Ugine.

A la, mort de son père, le petit Simon Mpeke hérita de toutes ses femmes ainsi que le veut la coutume.  Mais  Simon  avait d'autres idées en tête. En 1914, à 8 ans, il avait été ébloui par le dévouement des missionnaires allemands de l'époque et avait de lui-même demandé à recevoir le baptême et décidé de se faire prêtre.

Le 8 décembre 1935, il devenait l'un des huit premiers prêtres camerounais. Curé de la grande paroisse de New-Bell, à Douala, il découvrit un beau jour qu'il existait au Nord-Cameroun des populations animistes misérables. Ce fut dès lors son tourment, et il n'eut de cesse d'obtenir d'aller les évangéliser. En 1959, l'évêque de Douala, Mgr Mongo, exauçait ses vœux et le donnait au diocèse de Garoua. Il devenait, à l'intérieur d'un même pays, le premier prêtre Fidei-Donum en quelque sorte.

Les débuts furent très difficiles. Tout était à faire. Il fallait réellement partir de zéro. Baba Simon m’a raconté comment, pendant les premières années, il réussit à prendre contact. Chaque jour il se rendait dans l'un des nombreux marchés au pied des monts où les Kirdis se rassemblent pour vendre un peu de mil ou d'arachides. Là, assis au pied d'un arbre, il écoutait, notait les premiers mots des dialectes inconnus, distribuait des morceaux de sucre ou de viande pour remercier ceux qui répondaient à ses questions. Pendant quelque temps, à cause de sa soutane, on le prit pour un marabout musulman et le surnom de “ Baba Simon ” lui en est resté.

Mais désormais la montagne lui était ouverte. Et aujourd'hui il est aidé dans son travail d'évangélisation par deux prêtres catalans Fidei-Donum,  les  “ Baba ” Georges et Raymond, de Barcelone, et trois religieuses africaines des Servantes de Marie, de Japoma.

Namara Tchitchi

J'ai vécu avec eux tous des heures extraordinaires dans la montagne. “ Namara thitchi, namara tchitchi, Venez tous, venez tous pour écouter ”, criaien-tils, et bientôt c'était derrière eux, à la file indienne, à travers les rocailles, un long ruban de cent à cent cinquante hommes, enfants, femmes portant ou allaitant leurs bébés, tous heureux de venir à la leçon hebdomadaire  de  catéchisme.

Ce qui facilite beaucoup cette leçon, c'est que les Kirdis animistes croient en un seul Dieu créateur de tout. Sur chaque montagne, il existe en plein air un petit autel de pierre vertical d'un mètre de haut environ où l'on offre à Dieu, en certaines occasions, le sacrifice d'un poulet ou d'un cabri.

C'est autour de ce petit autel que Baba Simon a pris l'habitude de réunir ses catéchumènes, de les instruire et de les faire prier.

“ Je les fais passer d'une religion d'Ancien Testament à celle du Nouveau, m'a-t-il dit. Il est étonnant du reste de constater combien les légendes inconnues que j'ai recueilli dans leur langue, contiennent de vérités préchrétiennes.  Ainsi  croient ils  par exemple à une vie future heureuse. Une de leurs légendes raconte qu'un homme qui avait perdu sa femme et ses quatre enfants s'en alla sur la montagne de Dieu pour réclamer des comptes à Dieu. Dieu l'introduisit dans son saré et là, dans la cour intérieure, se trouvaient sa femme et ses quatre enfants en train de manger, et de manger mieux de jour en jour et d'être heureux de plus en plus. Aussi l'homme demanda-t-il de rester chez Dieu pour toujours.

Une autre légende raconte pourquoi le mal est entré dans le cœur de l'homme :  Autrefois, le ciel touchait presque la terre. On y entendait parler Dieu, mais comme le ciel était très bas et qu'il était la résidence de Dieu, Il fallait éviter de toucher le ciel. Or un jour, la fille d’un chef prenant des mains d'une servante le pilon avec lequel elle écrasait, accroupie, le mil, afin de ne pas toucher le ciel, voulut faire par orgueil le même travail debout si bien que le pilon toucha le ciel. Dès lors, le ciel s'éloigna, la voix de Dieu se fit très lointaine et les palabres commencèrent sur la terre.”

C'est sur ce donné que Baba Simon greffe l'Evangile. J'ai admiré entre autres l'art avec lequel il avait su adapter les chants et les rites liturgiques de la messe aux coutumes kirdis.

Cornes de béliers et tam-tam

Cornes de béliers aux sons âpres et variés suivant qu'on enfonce plus ou moins des bâtonnets dans le pavillon; tam-tam aux sons  sourds,  sonnailles  métalliques, c i t h a r e s  pentacordes, danses autour de l'autel pendant l'offertoire,  prosternation  profonde, front contre terre à la fin du canon ; utilisation symbolique des épis de mil, autant d'éléments vivants, traditionnels qu'il a incorporés à la liturgie après de longues et patientes recherches.

Les Kirdis, toutefois, ne sont pas des saints, et si la virginité est de règle absolue chez tous jusqu'au mariage, une fois le  mariage accompli, les femmes changent assez facilement de maris, quitte à revenir après quelques années à leur premier amour. Baba Simon a fort à faire auprès de ses premières chrétiennes pour leur enseigner la fidélité conjugale…

Il a fort à faire en tout, du reste, dans une mission d'une grande pauvreté ou il faut pourtant soigner, aider, éduquer tout le monde sans distinction, de religion, chrétiens, animistes, musulmans.

Rien qu'à l'hôpital de la mission, on donne en moyenne 60.000 consultations par an et 8.000 personnes sont hospitalisées au total chaque année. L'hôpital n'a même pas de matelas mousse, et j'ai vu des mamans qui venaient de mettre au monde leur petit et de grands opérés couchés à même les nattes sur un treillis de fer. Et la doctoresse m'avouait  “ Je dois trouver d'ici à un mots 4.000 Frs pour remplir le réservoir de gas-oil qui fait tourner le bloc électrogène absolument indispensable à l’hôpital, et je n'ai même pas un sou. ”

Quant à Baba Simon, qui nourrit je ne sais combien de gens, qui fait tout ce qu'il peut pour fournir des habits élémentaires à ses Kirdis, il est des jours où il est encore plus démuni que ses montagnards. Il m'a raconté que l'an dernier il avait tellement de gens affamés à sa porte, par suite d'une mauvaise récolte, qu'en désespoir de cause il avait demandé pour acheter du mil un peu d’argent à la délégation apostolique de Yaoundé qui construisait alors juste au-dessus du palais d'été du président Ahidjo, sur le mont Fébé, la luxueuse résidence que l'on voit aujourd'hui et qui déjà provoqué quelques controverses...

On lui écrivit à deux reprises en réponse à deux lettres insistantes, qu'on était navré, mais qu'on ne pouvait rien faire. Or, en même temps que la deuxième réponse, un mandat parvenait à Baba Simon,  un  mandat 20.000 F CFA, envoyé par un pauvre catéchiste de Bafia.

La Providence, semble-t-il, se charge parfois de donner quelques leçons, mais ne jugeons pas et laissons ce chapitre... Ou plutôt, pour aider la Providence,  prolongeons  ce chapitre  en  donnant deux adresses : pour l'hôpital, Docteur Perrin-Valentin Huguette, 16, rue des Alouettes, Lyon 8ème, CCP Lyon 470-99. Pour la mission, société camerounaise de banque, Mission catholique de Tokombéré, n° 33050053, Maroua (Cameroun).

Certes, chaque mission a d'immenses besoins, et il me faudrait plus d'une colonne de journal pour énumérer la liste impressionnante de C.C.P. que l'on m'a remis un peu partout au Cameroun. Seules les œuvres pontificales missionnaires, en répartissant au mieux leurs ressources qui ne peuvent couvrir qu’à 35 % les besoins des missions, sont à mêmes de répondre avec le maximum d'équité à tant de demande urgentes.

Mais, Baba Simon est à 62 ans un tel exemple lumineux pour tout le Cameroun et pour toute l’Afrique qu'il me semble le mieux symboliser cette très belle et jeune Eglise camerounaise si variée et si dynamique.

A l’image du pays

Avec un peu plus d’un million de catholiques répartis en neuf diocèses pour une population globale de 5 millions d’habitants, l'Eglise au Cameroun est à l'image du pays lui-même.

On a dit, en effet, que la Cameroun était une Afrique en miniature. Ce triangle de 1500 km de hauteur - du lac Tchad à la baie du Biafra, dont la superficie est presque égale a  celle  de  la France, contient tous les climats, tous les reliefs, toutes les végétations, les populations les plus variés. L'Eglise Camerounaise est, elle aussi, très diverse. On y trouve des diocèses bien organisés, pourvus d’œuvres les plus différentes à l'exemple des diocèses d’Europe et où il faut évangéliser au second degré, en profondeur. On y trouve des diocèses avec de très fortes minorités chrétiennes et une majorité d'animistes prêts à entrer dans l'Eglise. On trouve des régions où l'islam est tout puissant avec ses Lamibé du Nord par exemple et où une amitié constructive doit succéder aux méfiances d’antan. On trouve enfin de vastes zones où tout est à faire. C'est ainsi que le Nord-Cameroun compte  à côté de 500.000 musulmans, un million d’animistes et si les Kirdis des montagnes en font partie, bien d'autres populations, les Massas de la plaine par exemple, le long du Logone, sont également animistes. Aussi bien tous les types de missionnaires se retrouvent-ils au Cameroun, depuis l'aumônier de l’université de Yaoundé jusqu'au prêtre vivant solitaire dans sa case de terre au milieu des païens.

Un certain nombre d'articles ces dernières années ont voulu laisser  croire que l’image du missionnaire allant à pied ou à cheval (j'ai oublié de dire que Baba Simon possède depuis peu un cheval pour la prochaine saison des pluies) et prêchant tout simplement l'A.B.C. de l’Evangile après avoir appris péniblement les langues du pays relevait d’un folklore périmé. On ne peut que souhaiter à ces savants théoriciens en chambre climatisée de faire l’expérience du grand air des savanes ou de la moiteur étouffante des forêts tropicales, et d’y rencontrer ceux qui ignorent encore tout de Jésus-Christ. Cette expérience, les premiers missionnaires Pallotins du siècle dernier et bien des missionnaires l'on faite et la font tous les jours au Cameroun. Et la page d’histoire qu'ils ont écrite est très émouvante bien qu'elle n'ait que du soixante-dix-sept ans d’âge.

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