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Bibliographie de Baba Simon

Le P. Pélicier, dresse un portrait de Baba Simon et de sa belle figure de prêtre africain qui reste un exemple et un appel  pour les générations montantes.

On l'appelait Baba Simon, article de J. Pélicier, in Pôle et Tropiques, Janvier 1977.

« ON L’APPELAIT BABA SIMON »

Article du Père Henri Pélicier,o.m.i.

paru dans « Pôle et Tropiques », Janvier 1977

En Octobre 1974, pour le Dimanche des Mis­sions et, récemment, en Septembre 1976, la Télévision française présentait aux habitués de l'émission du  «Jour du Seigneur », un prêtre africain missionnaire du Nord­Cameroun, le Père Simon Mpe­cké, plus connu sous le nom de Baba Simon. Depuis ce moment,  il nous a souvent été demandé si nous le connaissons. Quel était donc ce prêtre, dont le beau visage de sage africain rayonnait la paix, la sérénité, la bonté et aussi l'humour ? Très malade, il avait été soigné à Paris, mais il était rentré au Cameroun pour mourir chez lui, à Edéa, le 13 Août 1975.

Il fut le premier prêtre du sud, missionnaire dans le nord, à Tokombéré : ce nord, si différent, si étranger aux gens du sud. Durant 16 ans, dans ce diocèse de Maroua, Baba Simon a été entouré de tant d'affection, de respect, de vénération, que ses frères missionnaires, les Oblats surtout, sont bien décidés à ne pas laisser perdre dans l'oubli, cette belle figure de prêtre africain, qui reste pour nous tous, et surtout pour les séminaristes, petits et grands, un exemple et un appel.

Simon, va, je t'envoie »

Prêtre responsable de la populeuse paroisse de New‑Bell à Douala, l'Abbé Simon Mpecké avait, en 1954, entendu parler des Kirdis. Pour lui, comme pour tous les gens du Sud‑Cameroun, c'était là‑bas, très loin, au nord, les « infidèles», les «hommes nus », par opposition aux musulmans, maîtres du pays.  La mission, dans le nord, avait commencé en 1946, avec Mgr Plumey et une première équipe oblate. La plupart des « Pères fondateurs » sont à l'œuvre aujourd'hui encore dans les missions du nord.

L'évêque fut d'abord réticent devant la demande de Baba Simon mais, après lui, Mgr Mongo, premier évêque camerounais de Douala, fit plus que permettre: «  Tu me demandes toujours d'aller au Nord‑Cameroun; je ne te permets pas d'y aller, mon ami, c'est moi qui t'y envoie. Si on te demande pourquoi tu es venu ici, tu diras que c'est Mgr Mongo qui t'a envoyé, parce qu'il pense que notre christianisme au Cameroun ne sera solide que lorsqu'il reposera sur les deux pieds : le sud et le nord ». En Février 1959, Baba Simon venait se mettre à la disposition de Mgr Plumey, évêque de Garoua. Ce  diocèse recouvrait alors tout le nord: les trois diocèses actuels de Garoua, Maroua, Yagoua, jusqu'aux portes de Fort Lamy, aujourd'hui N'Djamena, 1.300 km du sud au nord.

«Mgr Plumey m'a dit d'aller chercher quelque part dans l'arrondissement de Mora, un endroit favorable pour fonder une mission. Il m'a envoyé d'abord à Mayo‑Ouldémé, chez les Petits Frères du Père de Foucauld. J'ai eu la chance de trouver le Frère Jacques. Il me dit qu'il y avait beaucoup de tribus par ici mais qu'il y en avait surtout une, les « Madas », qui était très ouverte; c'est par là que je devrais commencer et c'est par eux que je pourrais peut‑être atteindre les autres; c'est ce que je fis ».

Et Baba Simon raconte comment, avec le Dr Maggi, médecin européen qui pense à un hôpital, ils choisiront Tokombéré, où il y avait de l'eau.

Les débuts ne furent pas faciles; tous se méfiaient : les musulmans d'abord, qui savaient très bien que nous venions pour les Kirdis, une certaine évolution, une certaine promotion. Les Kirdis aussi se méfiaient parce que nous étions habillés et parce que nous habitions la plaine, domaine des musulmans.

Les tribus de montagnards étaient souvent divisées, ennemies les unes des autres: par exemple, les Mouyangs étaient en guerre contre les Madas, en sorte que, lorsqu'un Mada prenait un Mouyang, Il allait le vendre aux Zoulgos, qui le vendait aux Mandaras ».

D'abord seul, puis avec un frère africain, le Père Benoît, avec les Sœurs de Mayo‑Ouldémé, plus

tard avec les Sœurs africaines, les Servantes de Marie (qui sont toujours là), avec des missionnaires

européens, Frère Joseph, P. Vincent, P. Christian et, ces dernières années, avec un jeune prêtre africain, le P. Jean‑Marc Ela (qui continue aujourd'hui son œuvre), avec ceux qui arrivent et avec ceux qui partent, Baba Simon construit sa mission: école d'abord, presbytère, maison des sœurs, école ménagère, église, cette belle église en pierres de la montagne et dont l'autel est une pierre sacrée d'un village, parce que, disait Baba Simon avec humour, « nos montagnes ont leurs pierres sacrées, comme les européens autrefois; j'en ai vu des pierres sacrées en Bretagne, et des dolmens et des menhirs! plus que chez nous! »

« Ces montagnards connaissaient Dieu‑Père ! C'est formidable! »

Mais que de valeurs Baba  Simon, homme du Seigneur, ne découvre‑t‑il pas chez ces montagnards du nord !

« Ah, si je n'avais pas eu Jésus‑Christ à leur annoncer, il y a longtemps que je serais retourné chez moi. Jésus‑Christ, c'est le sommet, le " Ngar " comme on dit en mada, le sommet, la tête de la création. Sans Jésus‑Christ, la création serait sans tête. Ce qui est merveilleux dans l'incarnation, c'est qu'en Jésus‑Christ, Dieu a élevé l'homme jusqu'à Lui. Si Jésus-Christ n'était pas cette tête, je serais retourné chez moi parce que j'ai trouvé les Kirdis aussi croyants que les Juifs. Ils sont les seuls en Afrique qui ont la notion la plus exacte de Dieu. Tout ce que je leur apprenais sur Dieu créateur, ils le savaient. J'ai envoyé un catéchiste une fois chez les Zoulgos; je lui ai dit : « Tu vas leur parler de Dieu, qui a tout créé, de Dieu qui a tout fait : la montagne, le mil, la plaine; il faut qu'ils croient en Dieu, il faut qu'ils aiment Dieu. » Le catéchiste est revenu : « Alors, tu as dit tout cela ? Et qu'est‑ce qu'ils ont répondu ? » Ils m'ont dit : « Si c'est tout ce que tu as à nous raconter, ce n'était pas la peine de te déranger, on le savait déjà ! » En effet, les Kirdis de la montagne croient en un seul Dieu, comme tous les Africains; Dieu est très loin, très haut. Il ne s'occupe pas de nous. Dans le sud, je n'ai jamais vu mon père prier Dieu. Tandis que chez les Kirdis, Dieu est père, il est .. "mon père", pas seulement le père de tous les hommes en général, mais "mon père" comme un père qui a plusieurs enfants et chacun se sait connu et chacun se sait aimé. Les Kirdis ont donc une notion de Dieu comme père, la prière à Dieu, les sacrifices pour Dieu, la fête de Dieu, avec la bière pour Dieu ! Ça, c'est formidable! « Mais lorsque je parlais à un vieux lépreux de Dieu en Trois Personnes : le Père, le Fils et l'Esprit‑Saint, "ah, me disait‑il, tiens, ça, je ne le savais pas!" Et j'ajoutais : "mon brave, tu n'es pas le seul, malheureusement !" Au point de vue catéchèse, j'ai commencé par l'Evangile. Oui, tout simplement, j'ai commencé par raconter l'Evangile dans les villages.

Les villages, Baba Simon ne le dit pas, mais tous les missionnaires savent ce que cela représente : les heures de montée sous le soleil tropical, le long des sentiers pierreux, à travers les rochers, à travers ces petites terrasses qui demandent aux habitants des prodiges d'ingéniosité et de travail pour en retenir la terre, que chaque saison des pluies entraîne dans la vallée. De loin, la montagne ressemble à un immense escalier et, sur les crêtes, les villages: chaque saré enfermé dans un mur au‑dessus duquel pointent les toits de paille, un peu comme les tourelles de nos vieux châteaux d'autrefois.

Baba Simon a parcouru villages et sarés: il a passé avec les anciens, des soirées de palabres autour du feu, des journées à catéchiser, des nuits sur la natte, dans le case des étrangers. A ce peuple rural, il expliquait les Paraboles, ces Paraboles qui présentent la terre, la semence, la maison.

Il apprenait l'Evangile par cœur à quelques enfants pour qu'ils puissent le répéter aux autres. Il expliquait l'Evangile du dimanche aux catéchistes pour que chacun soit apte à faire l'homélie dans son

propre dialecte.

« Vos anciens savent... Alors?... »

Mais notre apôtre est bien conscient des difficultés et des risques de l'évangélisation. « Devenir chrétien, pour un Kirdi, c'est une véritable rupture avec son passé. Bien plus que s'il se laisse islamiser! L'Islam peut s'accorder avec de nombreuses coutumes ancestrales: il permet la polygamie,

on retrouve la fête et le sacrifice du mouton, etc. Pour le chrétien, c'est bien différent. La religion catholique les lance vers la civilisation occidentale; ce n'est pas la leur; elle ne cadre plus ‑avec leurs

sacrifices de la montagne. Ainsi, le chef Nglissa ne peut pas envoyer son enfant à l'éco­le: ce serait trahir toute la mon­tagne; cet enfant sera perdu pour le clan. Il deviendra chré­tien peut‑être, musulman sans doute. Ils ont conscience que, musulmans ou chrétiens, nous voulons les entraîner dans notre civilisation pour les anéantir. Ils ne savent comment sauver leur civilisation et c'est là le drame ».

Personne n'a oublié, dans le nord, le terrible malheur du 11 Mars 1973 : ces 11 enfants morts brûlés dans l'accident du car qui les ramenait chez eux en vacan­ces. Parmi eux, un collégien de Baba Simon, de la race des Mouyangs. Les parents, les gens du village descendent de la mon­tagne. Ils accusent le prêtre de cette mort. N'est‑ce pas lui qui a envoyé cet enfant si loin à N'Gaoundéré, pour étudier ? La mission est cernée une porte et deux fenêtres sont brisées. Et, dans l'église, pour défier le Dieu des chrétiens, un guerrier lance sa sagaie vers le ciel. Elle reste fichée dans le plafond. Quelques jours après, les anciens, calmés, reviennent pour faire la paix. Le Père les accueille. Les dégâts

matériels, ce n'est rien: les por­tes, les fenêtres, on les refera. Mais... Et il les amène à l'église pour leur montrer la sagaie plan­tée dans le plafond. «Dites donc, l'offense faite à Dieu ? Comment réparer ça ? Moi, je ne sais pas. Vos anciens, vos sages, ils sa­vent, eux. Remontez au village et voyez entre vous. » Quelques jours plus tard, les anciens et les familles reviennent. Ils ont amené un mouton et ils l'immolent devant l'église : sacrifice de réparation.

Et, à la catéchèse suivante, Baba Simon eut la surprise de voir tout un groupe d'hommes,

descendus pour la première fois écouter la Parole de Dieu. Le respect pour leurs traditions et leur vie religieuse avait plus fait pour les rapprocher de la mis­sion que tous les efforts précé­dents.

Plus que les missionnaires blancs, ce prêtre camerounais a senti la nécessité et les difficul­tés d'une évangélisation qui res­pecte les valeurs authentiques de son pays, qui ne soit pas (qui essaie de ne pas être) le véhicule d'une civilisation étrangère. Il veut un christianisme africain, une église africaine, artisan de progrès social et de fraternité entre les races.

L'Ecole..., c'est la clé

Aussi, l'école fut‑elle le pre­mier et le principal souci de Ba­ba Simon. Homme du sud, il prit très vite conscience de la situa­tion. Son attitude était empreinte de loyauté, et amitié vraie pour les notables musulmans locaux :

« En tout cas, nous étions bien tombés avec le chef Tikire, qui est un homme extraordinairement bon et sage. Avec lui, non seulement nous n'avons jamais eu de palabres, mais nous avons toujours eu de bonnes re­lations, qui s'améliorent de plus en plus, jusqu'à notre vieillesse à tous les deux. Et comme To­kombéré est dans son canton, je puis dire que je n'ai pas eu beau­coup de difficultés avec les mu­sulmans. »

Mais il avait l'école, et l'école ne dépendait pas seulement du chef de canton. Baba Simon se rendait compte que l'école était le seul moyen de préparer pour ces enfants un avenir qui ne soit pas une vie de servitude comme celle de leurs parents. Il disait souvent « L'école, c'est une clé, une espèce de clé passe­partout. Moi, je vous donne la clé... Vous pouvez ouvrir beau­coup de portes! Vous possédez ma clé, c'est merveilleux! Là où je ne pouvais pas aller, je puis aller maintenant; une fois que je t'ai donné ma clé passe‑partout, je ne te suis plus pour te dire : passe par là " et même malheur à moi si je veux t'influencer car tu ouvriras nécessairement une autre porte. Au début, on dirige au C.P., C.E., C.M. Dans ces cours, on vous dit : " Il faut faire cela; il ne faut pas faire cela ". Mais le jour vient où vous êtes capables de marcher tout seuls. L'instruction devient une clé passe‑partout. C'est à vous‑mê­mes de juger pour vous et pour votre avenir par quelle porte vous voulez entrer. Vous pou­vez, si vous avez quelques dou­tes, demander : " Dis donc, je veux passer par ici, vu mon pas­sé, vu ma personne, vu ma situa­tion, qu'est‑ce que tu peux me conseiller ? ».

Aussi, je crois que j'ai fait l'impossible pour donner une instruction de base valable. Je demandais les compositions du sud. Par exemple pour faire pas­ser les enfants de Tokombéré au C.E.2, je demandais les é­preuves au C.M.2 de la mission d'Edéa Pour les faire passer au C.M.2, j'allais demander les épreuves des meilleurs écoles, à Maroua, Mokolo, Douvangar. J'ai fait cela parce que je voulais une

école de la même force que les autres écoles du Cameroun et même qu'elle leur soit supérieu­re, parce que je me suis dit : « Je suis le seul prêtre camerounais au nord; comme je ne suis pas blanc et que le français n'est pas ma langue, si jamais mon école ne marche pas, et avec mes sœurs indigènes encore, nous sommes f... Tandis que, si l'éco­le marche, on dira ce qu'on vou­dra mais on sera bien obligé de remarquer que ça tient et que c'est valable ». Et vraiment ça se tenait et les résultats répon­daient aux efforts de Baba Si­mon.

« C'est que nos montagnards sont intelligents ! Et, placés dans les mêmes conditions que les au­tres, ils réussissent aussi bien que n'importe quel Camerou­nais. Peut‑être mieux ! Car les sudistes que j'ai vu dans mon école n'étaient pas les premiers et je n'ai jamais vu un sudiste sortir du département. »

Cet effort de scolarisation vise à faire monter les jeunes d'ori­gine animiste pour qu'ils soient capables de participer à la vie locale comme tout le monde. Il y a une certaine difficulté à faire passer les enfants du pri­maire au secondaire. Plusieurs enfants de ces montagnes sont allés dans les établissements privés du Sud ou du Nord. La situation aussi évolue avec la création de nouveaux lycées et de nombreux C.E.G. Aussi l'apôtre du Nord gardait‑il con­fiance en l'avenir : « Enfin, nous avons la chance d'avoir comme président Monsieur Ahidjo et, si nous avons quelquefois des em­bêtements, c'est qu'on abuse de son nom. Ahidjo est musulman, c'est exact, mais il est avant tout camerounais et il a une conscience très nette de la com­munauté camerounaise. »

« Jean‑Marc, prends ma place ! »

Baba Simon se sait âgé, sa santé est sérieusement ébranlée.

Il sait aussi que son œuvre continuera. Le Père Jean‑Marc Ela reste à Tokombéré. « Lorsque je commençais à sentir ma fati­gue pour grimper en montagne, en voyant Jean‑Marc si énergi­que, je me suis dit : Mainte­nant, il est temps que je me re­tire, mais, d'abord, il faut que je lui donne toute la mission en commençant par ce que j'ai de plus cher, les Madas et les Zoulgos. Et puis, Jean‑Marc est

plus connu que moi. Il est capa­ble d'agir plus facilement que moi et apte à tout faire. J'ai vé­cu en 1936 l'année de sa nais­sance. Ceux qui étaient là en 1936 ne sont plus dans la danse. Jean‑Marc seul est capable, nous tombons bien ».

Ainsi s'achève simplement, paisiblement, la dernière inter­view.

Souhaitons qu'à la lecture de ces notes, beaucoup de ceux qui l'ont connu, qui l'ont aimé, qui ont vécu et travaillé avec lui, pensent eux aussi qu'ils ont beaucoup de choses à dire, de souvenirs à évoquer pour que l'Eglise du Nord n'oublie pas son premier prêtre africain.

Et aussi pour que les jeunes, qui se préparent à la vie mis­sionnaire, puissent dire : « Par­mi tous ceux que nous avons connus: prêtres, frères, laïcs, presque tous étrangers, l'un des meilleurs était de chez nous. Baba Simon est à nous.»

Henri Pélicier, o.m.i.

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