TEMOIGNAGE DE Jacques LOEW
LE « BABA SIMON »
(Extrait de « La Croix » du 20 Septembre 1975)
Au cours de cet été, trois lignes dans la nécrologie de la Croix annonçaient : «M. l’Abbé Simon Mpeke, du diocèse de Douala, missionnaire à Tokombéré (Nord-Cameroun), est décédé à Edéa, le 13 août. » Sans doute des amis ou des collaborateurs plus immédiats de celui que tous appelaient le « Baba Simon » parleront-ils de lui dans la Croix ? Il me semble que dès à présent il ne faut point laisser passer inaperçu cet événement.
Ceux qui ont connu Baba Simon trouveront bien pâle ce que je puis écrire de lui car je ne l’ai rencontré que peu de fois, mais il serait dommage de ne pas souligner la disparition de cet homme merveilleux et digne, comme le faisait Sélection du Reader Digest autrefois, d’être classé sous le titre : « L’homme le plus extraordinaire que j’ai rencontré. » Encore une fois, je préfère le risque sinon de trahir, tout au moins de présenter un raccourci insuffisant, plutôt que le silence, souhaitant que d’autres plus qualifiés en parlent.
La première fois que j’ai rencontré Baba Simon, c’était à Marseille, à La Cabucelle où une petite équipe et moi vivions en plein quartier au fond d’une cour. Pour faciliter les contacts et permettre aux voisins de passer d’une rue à une autre sans faire de détour, nous avions fait un trou dans un mur. C’est par ce trou que le Baba Simon est entré dans la cour où nous habitions. Il était accompagné d’un ami marseillais qu’il avait connu à Douala. C’était un homme jeune, plein d’entrain, plein d’allant.
Voici d’une manière qui reste très précise après tant d’années ce que j’avais retenu de lui. Il était curé d’une paroisse de Douala, avec une équipe de prêtres africains. Or, ce qui le frappait, c’était de voir que des Petits Frères de Jésus, Français et arrivés depuis relativement peu de temps à Douala, finissaient par avoir, à cause de leur mode de vie, un contact plus direct et plus profond avec les habitants du quartier que le curé Simon lui-même. Et cela parce qu’ils travaillaient et vivaient à ras du sol avec leurs voisins.
Autre constatation de l’abbé Simon : la nécessité pour ses confrères africains et lui-même de s’exprimer entre eux en français car ils étaient d’ethnies différentes et leurs langues trop diverses pour qu’on puisse choisir l’une d’entre elles. Il en était de même pour la nourriture où les coutumes de chacune des ethnies étant trop différentes, ils s’étaient rabattus sur la cuisine française. Tout cela sans rien dramatiser d’ailleurs, - car il était plein d’humour et d’une grande sagesse - posait problème à l’abbé Simon. Fallait-il qu’il devienne Petit Frère de Jésus ? Comment entrer en contact plus direct avec les hommes ? C’est cela sans doute qui avait amené nos amis communs de Marseille à entraîner jusqu’à La Cabucelle l’abbé Simon.
J’avais gardé de cet homme un extraordinaire souvenir. Allant une vingtaine d’années plus tard au Cameroun, et à Douala, j’avais demandé des nouvelles de « l’abbé Simon », mais personne n’avait pu me renseigner. Durant l’automne qui suivit mon voyage au Cameroun, apprenant le passage à Fribourg d’un prêtre africain « missionnaire », nous l’invitâmes à l’école de la foi et voilà qu’au cours de son entretien, je reconnais l’abbé Simon d’autrefois mais qui maintenant n’était connu que sous ce nom de « Baba Simon ».
Lorsqu’à la fin de sa causerie nous prîmes contact, il se rappelait fort bien de son passage à La Cabucelle, du trou dans le mur, etc... Durant plus d’une heure, nous avions entendu cet homme nous expliquer comment, curé de Douala marqué par les Petits Frères de Jésus, il avait réalisé sa vocation missionnaire en allant lui-même, prêtre africain du Sud-Cameroun, parmi les populations non évangélisées du Nord-Cameroun. Il nous disait aussi qu’il y avait plus de différences, peut-être, et de dépaysement, même pour lui Camerounais, à aller du Sud au Nord-Cameroun que pour un Français devenir de Paris en Afrique. Il est vrai qu’il était parti au milieu de tribus qui avaient toujours refusé la domination musulmane. Comme ces groupes dominateurs étaient dans la plaine, ces tribus avaient émigré dans les montagnes du Nord-Cameroun, menant une vie très primitive mais en même temps fière, austère et libre. Baba Simon était véritablement parti comme missionnaire au milieu d’eux dans cette mission justement de Tokombéré.
A ses auditeurs de l’Ecole de la foi, et à moi-même, Baba Simon - c’était le nom qui lui était désormais donné, et qui expliquait sans doute qu’on n’avait pu me donner de ses nouvelles - Baba Simon se présentait comme un véritable saint Paul africain. Il commençait à avoir quelques cheveux gris qui le faisaient ressembler à Dieu dans le film Verts Pâturages où Dieu est représenté sous les traits d’un vieux pasteur noir.
Tout récemment, et c’est notre troisième rencontre, au printemps dernier, j’ai revu Baba Simon qui était descendu à Douala. Il était fatigué, usé, mais en même temps il gardait son humour naturel. Une petite anecdote : Ayant cassé ses lunettes la veille, il les avait apportées chez un opticien qui devait les réparer, mais quand il retourna les chercher, l’opticien qui avait omis de payer ses impôts avait été saisi par le fisc qui avait apposé les scellés sur son magasin et sur les lunettes de Baba Simon ! Quelques jours plus tard, il passait à Ngaoundéré où se tenait une session, heureusement avec ses lunettes.
Là aussi, je pus encore une fois et pour la dernière, bénéficier de la sagesse et de la foi de cet homme, une merveilleuse figure de christianisme éternel et si africain en même temps.
Que les amis de Baba Simon me pardonnent de n’avoir effleuré la vie de cet homme qu’à travers quelques petits faits, mais qu’à leur tour ils disent la hauteur, la largeur, la profondeur et la longueur de son existence missionnaire.
Nombreux sont les prêtres français, italiens ou canadiens du Nord-Cameroun qui ont été marqués par lui. Un prêtre africain, Jean-Marc Ela, était le vicaire de Baba Simon à Tokombéré. Jean-Marc unit une culture très forte (il a fait ses études à Strasbourg et eut un prix de thèse à la Faculté de théologie) à la vie la plus proche des hommes de ces montagnes, sachant faire passer toute la Bible et l’Evangile dans le contexte de leur vie, de leurs mœurs et de leur culture. Que lui et ses amis reçoivent aussi cet hommage d’un contemporain de Baba Simon.
Il faudrait ajouter à cet hommage publié en 1975, les quelques lignes recueillis par le postulateur auprès du P. Jacques Loew en juin 1996 :
"Cher Grégoire Cador, je viens de relire l'article de la Croix de 1975 : vraiment je ne vois aucun souvenir à ajouter, sinon que 21 ans plus tard mon admiration pour Baba Simon est plus grande encore et je découvre la valeur inestimable de ce que nous font entrevoir de son approche. Les pages 38-39, 127-129, le chapitre VII et ses cinq lignes de conclusion p. 68 1 Bref le respect qui sous-tendait sa volonté de proximité, de patience, d'attente. Il faudrait transcrire toutes ses paroles et plus que tout, sa façon profonde d'être… (Lettre manuscrite envoyée d'Echourgnac le 06 juin 1996)
Puis encore en réponse à un courrier du postulateur :
Je réponds à votre lettre du 17 juin, avec le regret de vous décevoir… Je ne possède pas d'archives relatives au séjour de "Baba Simon" à l'école de la Foi à Fribourg.
Pour compléter mes souvenirs tels que les cite Baskouda dans son livre, je puis ajouter que ce qui m'avait le plus impressionné chez ce prêtre tait sa manière de se faire – comme le Père de Foucauld – Kirdi avec les Kirdis dans toutes les circonstances de leur vie, allant jusqu'à partager avec un non chrétien la prière qu'il adresse à l'Unique Dieu que tous deux reconnaissaient, ne cherchant pas à "convertir" mais seulement à témoigner… (Lettre dactylographiée envoyée d'Echourgnac le 17 juin 1996)
1 Le P. Loew parle ici du livre de J.B. Baskouda, Baba Simon, le père des Kirdis, le Cerf, Paris, 1988)