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Bibliographie de Baba Simon

Le P. Meinrad Hebga, s.j., lointain cousin de Baba Simon évoque, à l'occasion de sa mort, l'histoire de Baba Simon et notamment l'histoire de sa vocation. Il le définit comme un véritable homme de Dieu, trait d'union entre le Nord et le Sud, totalement dépouillé et qui a su vraiment incarner l'esprit du P. de Foucauld dans un prêtre diocésain.

L'abbé Simon Mpeke est mort, article du Père Meinrad Hebga, s.j., in Semailles Diocésaines n° 9-10, sept-oct 1975.

TEMOIGNAGE DU PERE MEINRAD HEBGA, s.j.

L’ABBE SIMON MPEKE EST MORT

(Extrait de « Semailles Diocésaines » (diocèse de Douala) N° 9-10 Sept.Oct. 1975)

            Simon MPEKE est né en 1906 à Batombé (Edéa) de deux païens : Yomba et Ngon Epouhe. Ses parents, en procédant au rite de l’enterrement du cordon ombilical, avaient dû dire à l’adresse du nouveau-né la fameuse phrase rituelle : « Où que tu grandiras, où que tu voyageras, ici sera ta dernière demeure. » Qui pouvait croire alors que cette incantation se réaliserait 69 ans après ? En effet, c’est le 14 août, veille de l’Assomption, que l’Abbé Simon Mpeke, celui que ses ouailles des montagnes Kirdi avaient nommé « Baba Simon », était inhumé entre le presbytère et la tour de l’autel de l’église Sacré-Cœur d’Edéa.

            Comment avait été remplie cette septantaine d’années ? Simon MPEKE après avoir commencé l’Ecole allemande dut recommencer l’Ecole française et en obtenir le CEPE en 1917. Il est engagé comme moniteur à St André où il se fait baptiser le 14 août 1918. En 1922, il est reçu au D.M.I. (Diplôme de Moniteur Indigène) et placé à Edéa où il rejoint ses camarades Jean-Oscar AOUE et Oscar MISSOKA, eux aussi Moniteurs.

            Un soir après le repas, les trois « inséparables » tombent sur une revue qui raconte la vie d’Alexandre TATI, prêtre noir. Cette révélation les surprend, car ils ne réalisaient pas qu’un Noir pouvait être prêtre. Ils font immédiatement part au Père Yung de leur désir de se faire prêtres. Pour cet objectif, Mr Mpeke va casser ses fiançailles avec Mademoiselle Y..., encore en vie à Edéa. Le Père Yung qui ne peut rien contre l’insistance soutenue des trois moniteurs, commence à leur donner les cours préliminaires de latin. Simon et ses amis de plus en plus fermes songent déjà à la vie monastique. Simon Mpeke particulièrement affiche une grande dévotion vis-à-vis de la Passion du Christ, de St François d’Assise, du Frère Charles de Foucauld.

            Le 8 août 1924, Simon et ses camarades entrent au Petit Séminaire de Mvolyé. Par sa vive intelligence, Simon s’attire l’estime de ses Supérieurs : P. Chevrat, P. Yung, P. Keller, Mgr Vogt, etc... On rapporte qu’à l’oral du CEPE, interrogé sur le rôle de l’air, Simon fit sursauter de rires les examinateurs de leurs chaises en disant que l’air était la nourriture de la bicyclette ! La formation des trois prêtres dure douze ans : trois à Mvolyé et neuf au Grand Séminaire, dont deux de probation dans chacun des deux instituts. Entre temps, arrivée des Pères Bénédictins à qui ils soumettent leur projet d’accéder à la vie monastique. Refus immédiat des Pères sous prétexte qu’une fois Bénédictins, ces abbés ne seraient plus... « pauvres ». Les Abbés Jean-Oscar AOUE, Oscar MISSOKA et Simon MPEKE appartiennent à la première promotion des prêtres Camerounais. Après leur ordination le 8 décembre 1935, ils décidèrent de fonder une Congrégation « mixte », à la fois contemplative et active. Cette idée a été le moteur de la vie d’austérité de Simon MPEKE et continue à être le rêve constant de Jean-Oscar AOUE : fonder un monastère.

            Simon MPEKE a passé 11 ans à Ngovayang et ses dépendances : Kribi, Bipindi, Lolodorf... Il est affecté après à New-Bell en 1947 avec le Père Joseph KINNER comme curé. Après le départ de celui-ci, l’Abbé Simon devient curé. Sa plus grande œuvre ici est la construction de la célèbre école Sacré-Cœur avec le frère Materne. Parfaitement disponible à tous, on le voyait tour à tour à l’église dire son bréviaire ou son chapelet, et prêt à recevoir n’importe qui. Sa forte personnalité était telle qu’il était consulté par de nombreux prêtres, mais aussi par des hommes politiques. Son austérité de vie n’empêchait pas beaucoup d’humour : un jeune homme venu le voir un jour lui dit que c’était désormais le temps des jeunes, que l’avenir était à eux. « Alors, lui dit MPEKE, puisque l’avenir est aux jeunes, laissez donc le présent aux vieux. »

            En 1959, alors âgé de 53 ans, il se porta volontaire pour travailler dans le Nord, et il s’établit à Tokombéré, dans le diocèse de Maroua-Mokolo. Il apprit le dialecte des gens qu’il avait à évangéliser, vécut la même vie qu’eux. Comme nous fûmes stupéfaits de le voir, en 1969 et en 1972, continuer à marcher pieds nus dans les rues de Douala, paupières, sourcils et cheveux blancs  sur une tête nue, la vieille soutane balançant à gauche et à droite au rythme de ses pas. Les gens de la montagne l’avaient adopté, et l’un d’eux établi à Yaoundé disait : « Cet homme-là, c’est un homme du Nord qui s’était incarné dans le Sud, et il est retourné chez lui, dans son pays, le Nord. »

            Mr l’abbé Simon MPEKE a vraiment été un trait d’union puissant entre le Nord et le Sud, mais pour nous il restera un père dans la foi. A ses derniers jours il a laissé l’image d’un homme qui attendait sereinement de rejoindre ses pères auprès de Dieu. Il était frappé d’artériosclérose. En France comme au Cameroun, les docteurs ne pouvaient plus rien pour lui. De Paris, il avait été ramené au pays. Les praticiens français s’étaient déclarés inaptes à juguler la mort déjà avancée jusqu’à mi-taille, partant des jambes. A l’hôpital Laquintinie, le miracle n’a pas eu lieu. A la longue file de visiteurs, son acheminement vers le trépas m’enlevait tout espoir. On en sortait le mouchoir mouillé de larmes. Le malade lui-même sentait la mort escalader son corps au fils des heures. Il n’a pas hésité à solliciter son transfert à Edéa, lieu où son cordon ombilical l’attendait depuis, et où il mourut effectivement 24 heures après son arrivée.

            L’inhumation a eu lieu dans l’après-midi de jeudi 14 août, au milieu d’une nombreuse foule en pleurs. Des pleurs, il y en a eu même tout au long de l’office funèbre. Les yeux ruisselants, la voix étouffée par l’émotion, Mgr TONYE présidait la mise en bière, la célébration et l’enterrement. A ses côtés, en plus d’une douzaine de prêtres et quatre diacres, Mgr Louis CHARPENET, évêque de Yagoua, représentait la communauté du Nord, unie en pleurs et prières à notre diocèse. Il n’en pouvait être autrement, le Nord ayant été ces 16 dernières années la « terre de mission » du disparu. Le Nord aura un prêtre ou d’autres prêtres qui ne seront hélas pas Baba Simon. Qu’ont dit Nosseigneurs Simon TONYE et Louis CHARPENET ? Beaucoup de choses qui se résument à peu près ainsi : « Aux biens du monde dont Simon MPEKE était desservant, il portait peu d’intérêt mais se consacrait plutôt à remplir son rôle de page devant la porte du salut. »

            En réalité, si on emploie quelquefois l’expression « homme de Dieu », c’est bien à lui que ces mots peuvent s’appliquer. C’est un fait établi que sa personnalité étonnante aura exercé une influence sur beaucoup. Voici ce qu’en dit l’un de ceux qui l’ont le mieux connu, Mgr Nicolas NTAMAG : « Baba Simon est l’Evangile de Jésus-Christ mis en pratique. »

            Lors de l’enterrement à Edéa de mon père Marc HEBGA, Mgr MONGO avait dit à la foule : « Ceux qui pensent ou croient que l’Evangile de Jésus-Christ ne peut pas être vécu, Marcus l’a vécu »... Pour Baba Simon point n’est besoin de le dire. Je l’ai suivi tout spécialement depuis mon entrée au Grand Séminaire de Mvolyé en 1932. J’ai été au courant de ses projets de fondations, de sa spiritualité... Et, quand nous arrivions à un tel ou tel tournant qui n’était pas dans ses plans, il me disait : « Ce n’est pas ce qui nous faut. » Nous avons marché ainsi à la recherche d’une spiritualité active et contemplative jusqu’au sommet où en 1956, je découvrais l’Union Sacerdotale Jesus-Caritas dont Simon est l’un des premiers fondateurs à Boquen.

            Plusieurs fois j’ai rendu visite à Baba Simon à Tokombéré. J’ai été édifié par son grand renoncement, sa pauvreté, sa charité. tout ce que je lui apportais pour lui personnellement, était distribué le même jour. Quand, le voyant grelotter de froid, un peu fâché, je l’invectivais, il me répondait : « C’est pour moi seul que tu as apporté tout ceci ? » A voir Baba Simon agir, je me disais : « Il n’est plus sur la terre ! ». Les témoignages sur Baba Simon sont nombreux. Il ne tiendrait pas qu’on les publie. Il nous suffit de l’imiter, d’être apôtres comme lui. Je tiens cependant à reproduire le témoignage de l’Abbé Pierre LOUBIER, curé de Ménilmontant (France) qui nous a bien connus au Cameroun et en France  :

« J’avais visité Baba Simon à plusieurs reprises quand il était hospitalisé à Paris, et je le voyais baisser de jour en jour : ses jambes qui avaient tant marché pour annoncer la Bonne Nouvelle (beati pedes evangelisantium bona) se paralysaient peu à peu, comme si elles étaient usées. Lui qui avait fait tant d’efforts pour annoncer l’Evangile, pour le « crier sur les toits » dans tant de langues différentes, avait de plus en plus de mal à parler distinctement. On peut dire qu’il s’est usé au service de l’Evangile. Mais l’esprit et le cœur restaient toujours en éveil ; il m’avait demandé un livre qui venait de paraître sur la conception de Dieu dans les différentes religions africaines. Et il m’a longuement parlé de la nécessité pour l’Eglise « établie » de sortir de ses frontières, d’aller plus loin, toujours plus loin : j’ai été très frappé de cette insistance que je crois être vraiment le message même de sa propre vie. Il a vraiment incarné l’esprit du P. de Foucauld pour un prêtre  diocésain et en ce sens il est vraiment, avec notre vieux Frère, le « Père » de l’Union ; puissions nous être fidèles à ce message et à cet esprit. Ils sont maintenant réunis tous les deux, ils étaient si proches l’un de l’autre ici bas !... 

            Je suis heureux qu’il soit rentré à temps pour partir vers le Ciel entouré par les siens, sur sa propre terre du Cameroun. Je trouve aussi lourd de sens qu’il ait été enterré la veille de l’Assomption comme un gage de résurrection avec Marie « au dernier jour, ce qui est corruptible en nous devient incorruptible », nous rappelle St Paul dans la messe de ce jour... (C’est le même jour, il y a un an que mon propre père nous quittait, laissant à notre famille le même message). Ne manque pas de dire à tous les frères de l’Union du Cameroun, dont tu es, maintenant, le plus ancien, combien je partage leur prière, leur espérance et leur fierté. »

            Lorsque Baba Simon est revenu de France à Douala, il a demandé à me voir à tout prix. Des coups de téléphone m’appelaient jour et nuit. Je me suis rendu à l’hôpital où se trouvait Baba. Nous avons causé seul à seul de 11h à 12h, nous avons terminé par l’Angelus et la prière d’abandon du P. de Foucauld. Avant de partir, je lui ai dit : « Je te quitte », sa réponse : « Tu ne me quittes pas, je reste en toi et toi en moi. Ta visite est quelque chose qui manquait à mon cliché. »  - Que dois-je faire ou dire aux gens après ta mort ? Réponse : - Fais ce que tu as trouvé d’un peu bon en moi et évite ce que tu as trouvé de défectueux.

            A ma question s’il souffrait, tellement je le trouvais calmé, Baba répondit : - Non, je ne souffre pas, mais ce sont les pieds qui ne marchent pas ainsi que la main droite.

            Mourir sans souffrir ou souffrir sans le sentir n’est pas donné à n’importe qui. Baba Simon me laisse partir après m’avoir béni. Je suis bien consolé d’avoir réalisé le dernier désir de Baba, de le voir avant sa mort. Il est mort et enterré le 14 Août 1975. Je n’ai pas pu assister à l’enterrement. Mais comme je l’ai écrit à Mgr Pierre NGOTE, c’est Baba Simon qui doit prier pour nous et non nous pour lui. Vraiment l’idée ne me vient même pas de prier pour lui, bien qu’il soit toujours en moi.

            Et Dieu seul sait ce qu’il a été pour moi et moi pour lui.                       

Meinrad HEBGA

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